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Encres

Méconnaître que le fleuve est un épée

et que les choses rêvent leurs rêves propres

c'est ignorer qu'ici,

près de notre regard

existe un autre:

le regard secret du monde.

 

Quand on le découvre,

la vie se retourne comme un gant

qui dégage la main qui l'enfermait

et le tact libéré

touche pour la première fois tout ce qui existe

 

La réalité est un temps plié

qu'il faut déplier comme une toile

d'une singulière délicatesse

pour trouver au dedans

une autre main qui attend

 

Roberto Juarroz, 13ème poésie verticale

"As-tu remarqué comme l'autre lumière, celle du soleil, nous enferme sur nous-même, dans ce monde ? Lorsqu'elle disparaît, la nuit nous ouvre sur le reste de l'univers et parfois même sur l'infini.  C'est la nuit que nous voyons le mieux ce qui est très grand et très loin."

(dans "Le kabbaliste", Patrick Levy)

Lieu-dit le moulin, à Barret de Lioure

Crozon

Mes yeux collent à leurs rides, ma main désire leurs mouvements, je m’absorbe dans les plis. Quand la rencontre a lieu et trouve son rythme, c’est une fête ! Entre mes veines et celles des roches, ça chante, ça pulse, ça danse, je suis vivante !

La presqu’île de Crozon m’aimante par ses falaises qui jouent avec l’océan. Les mouvements de la roche me parlent de l’eau et du mouvement de toute chose. Ils me racontent une autre échelle de temps. Tous ces siècles m’invitent à la lenteur : se poser. Sentir, dans une attention aigüe sur le fil du rasoir, dans cette ouverture où tout le corps pense : Sentir est l’état le plus sauvage de la pensée.

L’état le plus ancien du sauvage, les roches, éveillent ce désir en moi : sentir, jouer, trouver l’accord, laisser fluer. Le corps de la montagne pense en moi, ma main l’écrit.